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lettre, parce que la lettre est morte et que l'esprit est vivant.
Ayant ainsi parlé, les deux juges intègres mirent pied à terre et se rendirent avec leur escorte au Tribunal où
ils étaient attendus pour rendre à chacun son dû. Leurs chevaux, attachés à un pieu, sous un grand orme,
conversèrent ensemble. Le cheval du premier juge parla d'abord.
"Quand la terre, dit-il, sera aux chevaux (et elle leur appartiendra sans faute un jour, car le cheval est
LES JUGES INTEGRES 51
Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
évidemment la fin dernière et le but final de la création), quand la terre sera aux chevaux et quand nous
serons libres d'agir à nos guises, nous nous donnerons le plaisir d'emprisonner, de pendre et de rouer nos
semblables. Nous serons des êtres moraux. Cela se connaîtra aux prisons, aux gibets et aux estrapades qui se
dresseront dans nos villes Il y aura des chevaux législateurs. Qu'en penses-tu, Roussin?"
Roussin, qui était la monture du second juge, répondit qu'il pensait que le cheval était le roi de la création, et
qu'il espérait bien que son règne arriverait tôt ou tard.
"Blanchet, quand nous aurons bâti des villes, ajouta-t-il, il faudra, comme tu dis, instituer la police des
villes. Je voudrais qu'alors les lois des chevaux fussent chevalines, je veux dire favorables aux chevaux, et
pour le bien hippique.
Comment l'entends-tu, Roussin? demanda Blanchet.
Je l'entends comme il faut. Je demande que les lois assurent à chacun sa part de picotin et sa place à l'écurie
; et qu'il soit permis à chacun d'aimer à son gré, durant la saison. Car il y a temps pour tout. Je veux enfin que
les lois chevalines soient en conformité avec la nature.
J'espère, répondit Blanchet, que nos législateurs penseront plus hautement que toi, Roussin. Ils feront des
lois sous l'inspiration du cheval céleste qui a créé tous les chevaux. Il est souverainement bon, puisqu'il est
souverainement puissant. La puissance et la bonté sont ses attributs. Il a destiné ses créatures à supporter le
frein, à tirer le licol, à sentir l'éperon et à crever sous les coups. Tu parles d'aimer, camarade: il a voulu que
beaucoup d'entre nous fussent faits hongres. C'est son ordre. Les lois devront maintenir cet ordre adorable.
Mais es-tu bien sûr, ami, demanda Roussin, que ces maux viennent du cheval céleste qui nous a créés, et
non pas seulement de l'homme, sa créature inférieure?
Les hommes sont les ministres et les anges du cheval céleste, répondit Blanchet. Sa volonté est manifeste
dans tout ce qui arrive. Elle est bonne. Puisqu'il nous veut du mal, c'est que le mal est un bien. Il faut donc
que la loi, pour être bonne, nous fasse du mal. Et dans l'empire des chevaux, nous serons contraints et torturés
de toutes les manières, par édits, arrêts, décrets, sentences et ordonnances, pour complaire au cheval céleste.
"Il faut, Roussin, ajouta Blanchet, il faut que tu aies une tête d'onagre, puisque tu ne comprends pas que le
cheval a été mis au monde pour souffrir, que, s'il ne souffre pas, il va en sens contraire de ses fins, et que le
cheval céleste se détourne des chevaux heureux."
LE CHRIST DE L'OCÉAN
A Ivan Strannik
En cette année-là, plusieurs de ceux de Saint-Valéry, qui étaient allés à la pêche, furent noyés dans la mer.
On trouva leurs corps roulés par le flot sur la plage avec les débris de leurs barques, et l'on vit pendant neuf
jours, sur la route montueuse qui mène à l'église, des cercueils portés à bras et que suivaient des veuves
pleurant, sous leur grande cape noire, comme des femmes de la Bible.
Le patron Jean Lenoël et son fils Désiré furent ainsi déposés dans la grande nef, sous la voûte où ils avaient
suspendu naguère, en offrande à Notre-Dame, un navire avec tous ses agrès. C'étaient des hommes justes et
qui craignaient Dieu. Et M. Guillaume Truphème, curé de Saint-Valéry, ayant donné l'absoute, dit d'une voix
mouillée de larmes:
"Jamais ne furent portés en terre sainte, pour y attendre le jugement de Dieu, plus braves gens et meilleurs
LE CHRIST DE L'OCÉAN 52
Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
chrétiens que Jean Lenoël et son fils Désiré."
Et tandis que les barques avec leurs patrons périssaient sur la côte, de grands navires sombraient au large, et il
n'y avait de jour où l'Océan n'apportât quelque épave. Or, un matin, des enfants qui conduisaient une barque
virent une figure couchée sur la mer. C'était celle de Jésus-Christ, en grandeur d'homme, sculptée dans du
bois dur et peinte au naturel et qui semblait un ouvrage ancien. Le Bon Dieu flottait sur l'eau, les bras
étendus. Les enfants le tirèrent à bord et le rapportèrent à Saint-Valéry. Il avait le front ceint de la couronne
d'épines ; ses pieds et ses mains étaient percés. Mais les clous manquaient ainsi que la croix. Les bras encore
ouverts pour s'offrir et bénir, il apparaissait tel que l'avaient vu Joseph d'Arimathie et les saintes femmes au
moment de l'ensevelir.
Les enfants le remirent à M. le curé Truphème qui leur dit:
"Cette image du Sauveur est d'un travail antique, et celui qui la fit est mort sans doute depuis longtemps. Bien
que les marchands d'Amiens et de Paris vendent aujourd'hui cent francs et même davantage des statues
admirables, il faut reconnaître que les ouvriers d'autrefois avaient aussi du mérite. Mais je me réjouis surtout
à la pensée que si Jésus-Christ est venu ainsi les bras ouverts, à Saint-Valéry, c'est pour bénir la paroisse si
cruellement éprouvée et annoncer qu'il a pitié des pauvres gens qui vont à la pêche au péril de leur vie. Il est
le Dieu qui marchait sur les eaux et qui bénissait les filets de Céphas."
Et M. le curé Truphème, ayant fait déposer le Christ dans l'église, sur la nappe du maître-autel, s'en alla
commander au charpentier Lemerre une belle croix en coeur de chêne.
Quand elle fut faite, on y attacha le Bon Dieu avec des clous tout neufs et on le dressa dans la nef, au-dessus
du banc d'oeuvre.
C'est alors qu'on vit que ses yeux étaient pleins de miséricorde et comme humides d'une pitié céleste.
Un des marguilliers, qui assistait à la pose du crucifix, crut voir des larmes couler sur la face divine. Le
lendemain matin, quand M. le curé entra dans l'église avec l'enfant de choeur pour dire sa messe, il fut bien [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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